top of page

Risques climatiques physiques dans l'industrie pétrolière et gazière : le cas d'école de l'ouragan Harvey

Le 27 août dernier, Arkema a annoncé un plan d'adaptation un peu particulier. le géant français de la chimie va mettre en place des bassins de rétention sur son site de Crosby au Texas, renforcer ses bâtiments, surélever ses groupes électrogène et revoir ses protocoles de sécurité incendie. Il va aussi verser 1.1 millions de dollars au comté de Harris pour financer des mesures de sécurité locales. Exactement 7 ans après l'incendie du site industriel causé par l'ouragan Harvey, ces mesures font partie d'un règlement amiable entre le chimiste et le comté.


Au-delà du site de Crosby, Arkema reconnait aujourd'hui que l'ouragan de 2017 a accéléré sa prise de conscience des risques climatiques et ses efforts d'adaptation. Et ce n'est certainement pas le seul industriel de la pétrochimie dans ce cas :


TotalEnergies, ExxonMobil, Shell, Saudi Aramco... ont aussi subi d'importants dommages. Presque 10 ans après, Harvey reste un cas d'école des conséquences qu'un événement climatique peut avoir sur des organisations mal préparées.

Cet article explore les conséquences des risques climatiques dans l'industrie pétrolière au travers de quelques retours d’expérience marquants de l'ouragan Harvey . Il montre comment sous-estimer ou négliger un risque climatique peut mettre en défaut la conception de systèmes techniques, l'organisation de la sécurité d'une industrie sensible voire toute une stratégie d'entreprise.


Les réservoirs à toits flottants de Shell et Exxon : l'importance des extrêmes dans les dimensionnements techniques

Formé le 17 août 2017 dans les Petites Antilles, l'ouragan Harvey touche la côte Texane le 26 août après être passé en catégorie 4. Il perd en intensité en s'enfonçant en direction d'Austin. Mais alors qu'il vient d'être rétrogradé en tempête tropicale, il fait alors demi-tour pour revenir au-dessus de l'océan et longer la côte en passant devant Houston et Port Arthur. Il touche de nouveau terre le 30 août en Louisiane à 50km à l'est de Port Arthur. Il achève de se dissiper en remontant vers le nord et l'alerte est finalement levée le 30 en fin de journée.


La trajectoire inhabituelle de Harvey l'a maintenu pendant 5 jours à proximité de Houston. Cette particularité a entrainé des précipitations exceptionnelles. Dans une région qui compte de nombreuses sites industriels, notamment pétrochimiques, l'accumulation de pluie a souvent dépassé les limites de conception des installations d'extraction, de transport et de raffinage d'hydrocarbures. Une des conséquences les plus visibles de ces dépassement a été l'effondrement de réservoirs à toits flottants.


Le stockage d'hydrocarbures liquides est un enjeux important pour le secteur pétrolier. Les réservoirs sont souvent conçus de façon à minimiser la formation de vapeurs qui entrainent des pertes et des risques d'explosion. Une solution consiste à utiliser un toit flottant qui repose sur les hydrocarbures liquides et évite qu'ils entrent en contact avec l'air. Un toit fixe peut être ajouté au-dessus du réservoir, dans ce cas on parle de toit flottant interne - évidemment ce système représente un surcoût par rapport à un toit flottant externe.


Les réservoirs à toit flottant présentent des risques d'effondrement en cas de précipitations intense
Réservoirs à toit flottant externe : le niveau du toit s'ajuste en fonction du remplissage du réservoir

En l'absence de protection, les précipitations peuvent s'accumuler facilement sur un toit flottant externe et l'alourdir jusqu'à le couler. Dans sa norme 650, l'American Petroleum Institute stipule que les toits flottants externes doivent pouvoir supporter l'accumulation de 10 pouces (254 mm) d'eau. Le toit doit donc être équipé d'un système de drainage qui garantie que ce niveau ne sera pas dépassé même en cas de forte pluie. Le dimensionnement repose donc fondamentalement sur des hypothèses d'intensité et de durée maximale des précipitations.


Lors de l'ouragan Harvey, ces hypothèses ont été souvent mises en défaut. Au moins une quinzaine de réservoir à toit flottant ont été endommagés, y compris sur des sites exploités par Shell, Exxon Mobil, Marathon Petroleum, Phillips 66, Valero... Ces dommage sont entrainé de nombreuses fuites d'hydrocarbures et de produits chimiques.


Comme souvent lorsqu'on parle de ce type d'évaluation, l'utilisation de maxima empiriques basés sur les observations météorologiques passées est la meilleure façon de préparer un désastre. Le dimensionnement des systèmes doit prendre en compte les projections du climat futur et s'appuyer sur des modèle statistiques adaptés pour l’analyse des valeurs extrêmes.


Arkema : un événement météorologique comme déclencheur d'une chaine d'incidents catastrophiques

Le site d'Arkema à Crosby a aussi connu des problèmes causés par le cumul de précipitations, avec le débordement de deux bassins de rétention. Mais c'est un autre accident qui a marqué les esprits et illustre parfaitement la complexité des risques climatiques physiques dans un environnement industriel.


L'usine fabrique notamment des peroxydes organiques. Ces composés chimiques ont la particularité d'être impliqués dans une réaction de décomposition auto-accélérée : ils s'auto-oxydent, cette réaction est exothermique, la chaleur libérée si elle n'est pas dissipée accélère la réaction, etc.


Pour éviter que cette réaction s'emballe les températures de stockage des peroxydes doivent être contrôlée. Le niveau de réfrigération nécessaire varie en fonction du composé et de sa température de décomposition auto-accélérée : elle peut aller d'une température ambiante pour les peroxydes dont la TDAA est supérieure à 50°C à des température très négatives. Le site d'Arkema à Crosby, par exemple, dispose d’entrepôts à basse température avec une réfrigération à -30°C.


Compte-tenu de l'instabilité des peroxydes, les systèmes de refroidissement bénéficiaient de multiples redondances : réfrigération mécanique classique alimentée par le réseau électrique, groupes électrogènes de secours, réservoir d'azote liquide permettant un refroidissement d'urgence sans électricité et, comme ultime solution de repli, des camions frigorifiques capables de stocker les peroxydes à température pendant plusieurs jours avec un plein.


Malgré de multiples redondances et systèmes de secours, l'inondation du site a entrainé l'explosion de stocks de produits chimiques instables.

Le 25 août, l'équipe d'urgence de l'usine est activée. Elle doit rester sur place au cas où les routes d'accès seraient coupées. Dans les heures qui suivent, le site est progressivement inondé, des coupures d'électricité sont nécessaires pour éviter les risques d'électrocution. Le système de refroidissement de secours à l'azote liquide se révèle inopérant : les canalisations ayant été atteinte par la montée des eaux. Le 27, l'équipe commence le transfert des stocks de peroxydes vers les camions frigorifiques.


Le 28, le réseau électrique est coupé. Un des deux groupes électrogènes de secours est sous l'eau, la réfrigération des derniers entrepôts ne repose plus que sur un seul groupe. Le transferts des peroxydes vers les camions frigorifiques est achevé mais trois remorques sont bloquées par la progression de l'inondation et ne peuvent plus être déplacées vers les hauteurs.


Le lendemain, l'équipe découvre qu'une remorque est instable, l'accident parait désormais inévitable. Le site est évacué et un périmètre de sécurité de plus de 2km est mis en place. La chronologie n’est pas exactement connue à partir de ce point mais entre le 30 août et le 2 septembre plusieurs remorques frigorifiques prennent feu, entrainant des émanations de gaz et des hospitalisations. Le 3 septembre, les autorités décident d'incendier volontairement les stocks restants.


Comme le fait remarquer le rapport d'accident de l'U.S. Chemical Safety Board, l'inondation a provoqué successivement la coupure de l'alimentation électrique de l'installation, l'indisponibilité des générateurs de secours et du système réfrigération à l'azote liquide et enfin l'échec des remorques réfrigérées. La sureté offerte par ces différentes couches de protection était illusoire parce qu'un même phénomène pouvait toutes les mettre en défaut.


Raffinerie Motiva : comment un risque climatique a mis fin aux ambitions américaines du plus grand pétrolier de la planète

Créée plus d'un siècle auparavant, la raffinerie Motiva de Port-Arthur est, en 2017, la plus importante des États-Unis. A partir des années 80, elle est exploitée par une joint-venture entre le pétrolier saoudien Saudi Aramco et, au fil des acquisitions et des reventes, Texaco, Chevron et finalement Shell. En 2016, Aramco décide de reprendre l'intégralité de l'activité dans le cadre d'un accord à plus de 2 milliards de dollars.


Le 1er mai 2017, Aramco devient seul propriétaire de la raffinerie et annonce d'immenses investissements : une première tranche ferme de 12 milliards, suivie d'une deuxième de 18 milliards prévue avant 2023. L'objectif est d'augmenter la production de 150%, ce qui en ferait la plus grande raffinerie de la planète, près de 15.000 emplois doivent être créés ! Le projet est présenté comme crucial à la fois pour la région, l'industrie du raffinage aux États-Unis, la stratégie politique et économique du gouvernement saoudien et la relation entre les deux pays.


Pourtant à peine un an plus tard, en juin 2018, l'extension de la raffinerie Motiva est discrètement abandonnée. Entre les deux que s'est-il passé ?


En mai 2017, Aramco annonce 30 milliards d'investissements dans la raffinerie Motiva de Port-Arthur. Un an plus tard, en juin 2018, le projet est abandonné. Entre les deux : le site a été inondé par l'ouragan Harvey.

Le 30 août, à l'approche de l'ouragan Harvey, la raffinerie a été mise complètement l'arrêt. Cette situation est loin d'être inédite : les raffineries Exxon, Shell, Valero, Petrobras, Total et de nombreux autres sites pétroliers et gaziers situés dans le Golfe du Mexique ont aussi été arrêtés. Mais la situation de Port Arthur est particulière : alors que l'élévation y est presque partout inférieure à 3 mètres, le système de digues se révèle insuffisant pour protéger la ville face l'ouragan Harvey. Avec la marée de tempête (l'élévation temporaire du niveau de la mer provoqué par la dépression qui accompagne les ouragans), Port-Arthur a été presque intégralement submergé. La raffinerie Motiva n'a pas fait exception.


Site industriel pétrochimique motiva/Aramco après la submersion de Port-Arthur par l'ouragan Harvey en 2017
La raffinerie Motiva de Port-Arthur innondée, le 31 août 2017 après le passage de l'ouragan Harvey

Réalisant soudainement que son projet phare aux États-Unis est à la merci d'un ouragan, Saudi Aramco prend la seule décision raisonnable : ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Selon une source citée à l'époque par Reuters : "ils ne veulent pas que toutes leurs capacités puisse être indisponible comme cela a été le cas avec Harvey." A l'époque, il est question d'investir sur d'autres sites à la place mais 7 ans après Port-Arthur est toujours la seule raffinerie américaine exploitée par Aramco et sa capacité n'a pas changé significativement. De fait, l'ouragan Harvey a mis un terme aux ambitions de Saudi Aramco dans le raffinage américain.


 

Les incidents survenus pendant l’ouragan Harvey illustrent combien les événements extrêmes peuvent révéler des vulnérabilités systémiques dans des infrastructures pourtant jugées robustes. Ces expériences soulignent l'importance d'adopter une approche proactive particulièrement dans le contexte du changement climatique, intégrant les projections climatiques dans les critères de conception, la gestion des risques et la stratégie d'entreprise.


En pratique cependant, l'accès à ces données peut se révéler impossible car trop long, coûteux et complexe. C'est pourquoi Callendar a développé des outils destinés à faciliter l'évaluation des risques climatiques et à accélérer l'adaptation. Conçus avec et pour les industriels, nos solutions ont déjà été utilisées dans des projets pétroliers et gaziers en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique. Vous voulez en savoir plus ? Contactez-nous !



bottom of page